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Denis Dufour | Notice des œuvres

Orange-Cité

1998 | 08'30 | opus 103 | éditions Maison Ona

pour flûte, clarinette, percussion, piano, violon, alto, violoncelle, contrebasse

• Commande du festival Aujourd’hui Musiques

• Texte de Marc Jaffeux

• Création à Perpignan, auditorium John Cage, le 22 novembre 1998 lors du festival Aujourd’hui Musiques par l’Ensemble Linea (Caroline Staub, flûte, Mathieu Steffanus, clarinette, Matias Canobra, percussions, Hervé Schaal, piano, Birgit Goris, violon, Paul Collin, alto, Cristina Bellu, violoncelle, Jérémy Lirola, contrebasse) sous la direction de Jean-Philippe Wurtz

Huit musiciens disposés en cercle représenteront la tête. On l’aurait plutôt imaginée taillée dans une pierre légère et verte qu’articulent les métaux les plus subtils, et dotée de turquoises pour regard, plus bleues qu’aucun œil véritable ne pourrait l’être. La tête est artificielle : c’est elle qui doit informer l’auditeur des ordres émanant de la ville Orange. Est-ce la débilité du mécanisme ? Est-ce la nature du message ? La tête ne réussit pas, dans un premier temps, à délivrer son oracle. Les mots, dits par les instrumentistes eux-mêmes, ne s’accordent pas entre eux pour faire une phrase intelligible ; intégrés à la phrase musicale, ils se combinent mal entre eux. D’autant plus que des bruits parasites se mêlent à leur énonciations : faux contacts, cliquetis de la mécanique, éraillement de la voix, crissement des rouages qu’évoque une écriture instrumentale à base de fragments mélodiques, de groupes rythmiques, de souffles et de frottements, de grincements ou de sons inharmoniques – autant d’objets sonores, au sens qu’en donne Pierre Schaeffer d’entités très précisément calibrées.

Morphologiquement définies (masse, timbre harmonique, dynamique, grain, allure, profil mélodique, profil de masse), ces éléments hétérogènes se succèdent et s’articulent en phrases tantôt énigmatiques, tantôt automatiques. Ainsi, à chaque instrument est associée une gamme d’objets sonores bien caractérisée. Puis, par répétition, contrepoint, jeu de hasard, et par une discrète organisation du texte, quelque chose du lyrisme d’Orange-Cité se dessine à l’auditeur, vestiges d’un discours autrefois structuré. C’est l’idée d’un regard interdit ; d’une ville (ou d’autre chose) qui n’existe qu’à la condition d’en détourner le regard. Voici donc une tête, une tête détachée de son corps et perdue, dont la musique est impuissante à nous restituer la vérité, si ce n’est par bribes, par flash. Mais la tête se tait : en jaillissent des larmes de silence dont le cristal se brise en paillettes contre le plancher de la scène.

[Marc Jaffeux]

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